N° 1079 | Le 18 octobre 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Marcher pour s’en sortir. Un travail social créatif pour les jeunes en grande difficulté

David Le Breton, Daniel Marcelli, Bernard Ollivier


éd. érès, 2012 (186 p. ; 19 €) | Commander ce livre

Thème : Délinquance

« Quand je suis parti, j’étais un blaireau. Depuis que je suis revenu, je suis un héros. » Ce commentaire d’un des jeunes bénéficiaires de l’action menée par l’association Seuil décrit bien la portée de l’action proposée. En 2000, s’inspirant de l’expérience menée depuis trente ans par l’association belge Oikoten, un groupe de jeunes retraités propose un projet fou aux juges des enfants et aux services éducatifs : pendant trois mois, un adulte accompagne à pied un jeune en grande difficulté sur une distance de 1800 kilomètres (LS n° 1006). L’heure est à la répression et à l’enfermement. Malgré le scepticisme institutionnel, Seuil se voit confier des jeunes délinquants en alternative à l’incarcération.

Dix ans après sa création, l’heure est venue de tirer le bilan. Ce que font avec bonheur et intelligence les neuf contributeurs de cet ouvrage, qu’ils soient spécialistes de l’adolescence ou bien acteurs du séjour de rupture. Certes, marcher n’a pas en soi de valeur curative. Sinon, nos adolescents fugueurs ou trafiquants qui parcourent des kilomètres dans l’errance ou dans la recherche de leur livraison de shit seraient très vite resocialisés ! La marche, c’est avant tout une histoire humaine où deux sujets se rencontrent pour réaliser un objectif réel et mesurable : accomplir l’exploit d’une déambulation partagée, structurée, réfléchie et acceptée d’environ 25 kilomètres par jour.

Même s’il ne s’agit pas d’une quête de performance, l’épreuve est lourde : douleurs physiques (ampoules aux pieds, sac à dos de 12 kg…), nostalgie de sa famille, de son quartier, de ses ami(e) s, de sa bande, difficultés de communiquer avec les natifs (la marche se fait dans les pays voisins de la France), nourriture inhabituelle, chaleur, froid, vent, pluie… de quoi provoquer crise d’angoisse ou de colère, envie d’abandon ou refus de continuer à avancer. Et pourtant, pour la plupart des jeunes engagés, cela fonctionne. Peut-être parce que marcher c’est avoir les pieds sur terre et non à côté de ses pompes. Vivre les mêmes épreuves avec un adulte implique de nouer une alliance avec lui, en éprouvant une réciprocité et une empathie jusque-là inconnues. Cheminer permet de vivre une échappée belle, loin des routines de pensée et d’existence, de créer un espace de parole favorisant une restauration de sens et d’expérimenter la frustration et le mal-être provisoire, en brisant les réflexes d’agressivité, ainsi que les trafics et les vols.

La marche n’est pas une panacée et ne constitue pas un vaccin contre la récidive. Mais après les sept lois répressives votées entre 2004 et 2010, Seuil redonne ses lettres de noblesse aux vertus de l’éducatif. Et cela, c’est plutôt une excellente nouvelle.


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