N° 668 | Le 5 juin 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Le transfert dans la relation éducative

Joseph Rouzel


éd. 2002, Dunod (231 p. ; 22 €) | Commander ce livre

Thèmes : Psychanalyse, Relation

« L’approche analytique, contrairement à ce que certains croient pouvoir me reprocher, n’invalide pas les autres approches et ne saurait nullement être présentée comme un point de vue unique et somme toute totalitaire » (p. 19). Que le lecteur se rassure : l’auteur n’a pas abandonné ses convictions. Pour lui, le discours psychanalytique reste toujours un outil privilégié qui permet d’interroger non seulement les différents champs de savoir et de savoir-faire, mais aussi le désir qui pousse chacun à s’y engager. Il reconnaît simplement qu’il n’y a pas de cause unique et que l’on est entré dans une époque de relativisme généralisé. Dont acte.

Mais, reconnaissons-le, dans sa tentative d’utiliser la psychanalyse au profit de la clinique éducative, Joseph Rouzel excelle. À preuve, cet ouvrage passionnant qui développe sa conviction profonde : aux avant-postes de la souffrance sociale, les éducateurs doivent être dans un questionnement permanent de ce qu’ils engagent dans leurs relations aux usagers. Certes, il existe encore des discours qui revendiquent la neutralité bienveillante et l’injonction à ne pas tenir compte de ce qui se passe au plus profond de soi. Mais, côtoyer en permanence la misère humaine ne laisse pas indemne. L’approche de l’usager est faite de haine et d’amour et nécessite donc des espaces de médiation efficaces afin d’éviter tant le collage affectif que le rejet.

De fait, chaque rencontre opère sous transfert. Ce concept loin d’être réservé au seul cadre de la cure est opératoire dans toute pratique sociale. Tout éducateur porte en lui l’image d’un enfant merveilleux qu’il projette sur celui qu’il est censé aider. Mais, « quels que soient la bonne volonté déployée, le savoir-faire mis en ?uvre, les compétences acquises, les moyens mobilisés, le résultat est toujours insatisfaisant et ne répond jamais aux attentes » (p.31). C’est qu’il y a quelque chose chez l’être humain qui relève de l’inéducable, d’inguérissable et d’ingouvernable à « d’hommestiquer ».

Bien que conscient de cette réalité, les projections opérées sont incontournables. Elles ne peuvent être supprimées mais seulement contrôlées. C’est là, la condition nécessaire pour abandonner cette toute-puissance à l’origine de cette prétention à être le maître d’autrui et de son changement. De son côté, l’usager sait merveilleusement bien accrocher le professionnel là où ce dernier est travaillé par une question. Nombre d’éducateurs ont le réflexe de fuir une relation dérangeante, alors que c’est en se mettant à l’écoute de ce que produit dans son propre corps le transfert et en faisant le ménage dans ses propres affects qu’il peut en opérer le maniement. « C’est donc à restaurer en lui, en permanence, ce manque qu’un éducateur doit s’atteler pour accueillir un autre être humain dans toute sa singularité et son altérité, comme autre, tout autre, non semblable, non-moi, non assimilable à du connu » (p.100).


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