N° 960 | Le 11 février 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Le handicap par ceux qui le vivent

Sous la direction de Charles Gardou


éd. érès, 2009 (244 p. ; 23 €) | Commander ce livre

Thème : Handicapés

N’y a-t-il pas une certaine imposture à parler au nom des personnes porteuses de handicap, en ignorant leur capacité et leur compétence à le faire elles-mêmes ? Même si la condition pour comprendre la pauvreté, la toxicomanie ou la prostitution ne réside pas dans le fait de les avoir éprouvées, le témoignage de ceux qui vivent ces situations ne peut être écarté. Il en va de même pour celles et ceux qui sont confrontés à la réalité quotidienne du handicap : ils sont détenteurs d’un savoir et d’une expertise incontournables. Qu’ils s’éreintent à escamoter leurs altérations ou qu’ils les revendiquent pour mieux attirer l’attention sur eux, leur avis doit être pris en compte dans le débat, à sa juste place. Convenons que, jusqu’à présent, ce sont surtout les spécialistes qui ont tenu le haut du pavé, ceux qui sont censés « savoir ». L’ouvrage de Charles Gardou contribue à réparer cette injustice. Souhaitons que ce ne soit pas là une initiative sans lendemain.

Que nous disent ces témoins ? Beaucoup de choses, qu’il est bien difficile de résumer ici. Ce qui émerge peut-être le plus, c’est le poids des regards négatifs ou indifférents qui font naître un sentiment d’infériorité et d’échec, parfois bien plus corrosif encore que la déficience elle-même. Le handicap effraie autant qu’il fascine, repousse autant qu’il attire. La société validocratique, conçue et organisée par et pour les valides, nourrit des préjugés et des stéréotypes. Ainsi, les personnes en situation de handicap contreviennent aux images de féminité, de virilité, de séduction que notre culture chérit. Et elles ne trouveront jamais leur place tant que l’on tiendra comme condition du bonheur la nécessité d’être jeune, beau, performant et en bonne santé.

Pour la majorité de la population, le handicap implique au contraire de mener une existence morne, inactive, solitaire et renfermée. Échapper à ce misérabilisme requiert des qualités particulièrement exceptionnelles. « Nous devons toujours être un peu meilleur, pour être simplement égal aux autres  » (p. 27). On ne peut aller à la rencontre de cette population souffrant de déficience dans une perspective d’égalité, si on l’appréhende sous les seuls aspects du misérable ou du héros. Ni l’utiliser seulement pour se rassurer sur son sort, en utilisant le handicap comme miroir déformant de nos propres angoisses. Les passerelles avec le monde des valides font encore trop largement défaut.

Ces témoignages revendiquent le destin commun qui unit les êtres humains, quelle que soit leur fragilité : nous sommes tout frères en humanité et l’imperfection est délégataire d’une partie de la nature de notre espèce.


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