N° 976 | Le 10 juin 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Le conflit, la femme et la mère

Elisabeth Badinter


éd. Flammarion, 2010 (270 p. ; 18 €) | Commander ce livre

Thème : Relations

Limpide, lumineuse et passionnante, telle est la dernière livraison d’Elisabeth Badinter, qui va bien au-delà de la simple polémique pour ou contre les couches jetables, raccourci auquel on a eu un peu trop tendance à la réduire. À la fin des années 1970, explique-t-elle, les femmes ont accédé au choix entre d’un côté donner la priorité à leurs ambitions personnelles en jouissant de leur célibat et de l’autre satisfaire à leur désir de maternité. Et puis, une nouvelle idéologie est venue s’instiller, faisant la part belle au retour à la nature, à l’instinct maternel, à la nécessité incontournable du contact mère/enfant… On se devait de refuser l’accouchement en milieu hospitalier, la péridurale et en revenir à la douleur, aux couches en tissu moins polluantes et à l’allaitement tellement plus naturel. De là à préconiser le retour de la mère au foyer, il n’y avait qu’un pas… franchi allègrement par certains.

Toute la démonstration d’Elisabeth Badinter consiste justement à combattre et relativiser toutes ces « vérités ». Non, la reproduction n’est pas le destin de toute femme qui serait faite, avant tout, pour procréer. Oui, « qu’on le veuille ou non, la maternité n’est plus qu’un aspect important de l’identité féminine. Et non plus le facteur nécessaire à l’acquisition du sentiment de plénitude de soi féminine » (p.229). Non, l’infertilité ne signe pas l’échec de toute féminité. Oui, dès que les femmes maîtrisent leur reproduction, font des études, envahissent le marché du travail, prétendent à l’indépendance financière ou à faire carrière, la maternité n’est plus une évidence, mais une question, tant elle peut être synonyme de bonheur infini que de tornade dévastatrice.

Et de rappeler la montée des Childfree qui ont fait le choix de renoncer aux enfants. Frappés au coin du manque et de l’inachevé, ils devraient se justifier, alors qu’on ne le demande jamais aux couples qui veulent être parents. Non, la bonne mère n’est pas seulement celle qui allaite : les laits artificiels se rapprochent aujourd’hui de plus en plus de la qualité du lait maternel. Oui, l’allaitement comporte aussi beaucoup d’inconvénients. C’est à la mère de choisir son mode de vie, au mieux de ses intérêts et ceux de son enfant.

Une tradition française, remontant au XVIIe siècle, encourage l’accomplissement avant tout en tant qu’individu. Cela explique sans doute la statistique qui place les Françaises bonnes dernières en matière, par exemple, d’allaitement. Dans le combat qui oppose la vision naturaliste à l’individualisme hédoniste revendiquant le plaisir sans les frustrations, le stress et le sacrifice de soi, on peut refuser le tout ou rien. On peut aussi décider de composer, en articulant le fait d’être femme, professionnelle et mère.


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