N° 1020 | Le 26 mai 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La médecine et le travail social à la recherche des inadaptés et des débiles mentaux

Hervé Morisset


éd. Publibook, 2010 (381 p. ; 26 €) | Commander ce livre

Thème : Mental

C’est la conjonction de trois facteurs qui vont présider, à compter des années 1950, à la sortie progressive des enfants handicapés des asiles d’aliénés. Il y a d’abord ces progrès de la médecine qui permettent de sauver beaucoup plus de bébés à la naissance, avec pour corollaire, l’accroissement parmi les survivants du taux de handicap mental. C’est ensuite l’organisation des familles en mouvement de parents agissant activement auprès des pouvoirs publics. C’est, enfin, la montée en puissance des neuropsychiatres qui vont contribuer à convaincre de la nécessité d’orienter ce qu’on appelait alors des « débiles mentaux » vers la médecine. Le combat pour créer une filière spécialisée médico-pédagogique aboutit au-delà de toutes les espérances, puisqu’entre 1956 et 1980, le nombre d’IMP (institut médico-psychologique) passe de 197 à 1 350.

Hervé Morisset revient sur les débuts de la prise en charge médico-sociale des enfants porteurs de handicap mental, avec une hypothèse qu’il va chercher à démontrer tout au long de son ouvrage : l’orientation des enfants issus des classes populaires vers les instituts médico-pédagogiques se serait réalisée à compter de 1958, non à partir de difficultés d’ordre intellectuel, mais bel et bien sur des indicateurs sociaux et comportementaux. Et le principal acteur de cette dérive serait le corps professionnel des assistantes sociales. Hervé Morisset a étudié 371 dossiers d’admission pour les sept IMP du département de la Seine-Maritime, durant la période qui va de 1958 à 1975.

De cet examen minutieux et fort bien détaillé dans son livre, ressortent plusieurs enseignements. Le premier établit que dans l’échantillon étudié, les enfants issus des classes populaires admis en IMP ont le quasi-monopole de l’évocation de critères d’ordre social (parents divorcés, famille monoparentale, père sans travail…), moraux (inconduite des parents, violence familiale, éthylisme…) ou somatopsychique (parents malades, nerveux, débiles mentaux ou ayant des troubles psychologiques…). Observations peu présentes dans les autres catégories socioprofessionnelles (sauf quand la profession des parents est inconnue). Autre indication étonnante : à l’issue de leur scolarisation en IMP, près de la moitié des élèves se retrouvent non dans un CAT mais en situation de travail ordinaire.

Les procédures permettant l’orientation étant principalement instruites par des assistantes sociales, ce sont bien ces travailleurs sociaux qui, pour l’auteur, portent la responsabilité de la violence symbolique que constitue l’attribution de l’étiquette d’inadaptation, du fait de « leur manière de repérer et de prendre en charge ce qu’il est convenu d’appeler un déficit normatif » (p.348). Voilà qui ne va pas plaire à l’ANAS !


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