N° 663 | Le 24 avril 2003 | Patrick Méheust | Critiques de livres (accès libre)

La force des quartiers

Michel Kokoreff


éd. Payot, 2003 (344 p. ; 19,50 €) | Commander ce livre

Thème : Politique de la ville

Décidément, les banlieues chaudes sont une ressource sûre pour les sociologues en mal de sujet d’étude. C’est un peu ce que l’on serait tenté de penser en découvrant l’ouvrage de Michel Kokoreff qui, encore une fois, entend explorer l’univers « secret » des quartiers difficiles. Pourtant, l’objet même de cette enquête de terrain menée dans les quartiers nord d’Asnières c’est bien, comme l’indique l’auteur, de porter un autre regard sur les cités afin d’en révéler la vie sociale dans toute sa complexité. Il est trop facile, en effet, de se limiter à l’imagerie simpliste véhiculée par les médias, celle de zones de « non-droit » où l’exaction, la violence, les trafics en tous genres et l’insécurité seraient omniprésents. Cependant, accéder à la « vérité » des quartiers n’est pas une chose aisée.

Le sociologue, animal bizarre par excellence, est suspecté de prime abord de servir le pouvoir en place ou bien encore de vouloir se faire de l’argent facile sur le dos des « mal lotis » par le biais de la publication d’un livre à sensation. La confiance, passage obligé pour que s’ouvre la porte des réseaux qui propulsent presque miraculeusement dans l’intimité, est longue à gagner. Il faudra s’armer de patience pour qu’un jour, enfin, un déclic se produise et que soient remisés au placard les discours et attitudes convenus qui font le bonheur des reporters des magazines grand public. C’est alors qu’il devient possible de repérer les liens qui se tissent entre individus de même âge mais aussi entre membres de générations différentes, les rapports quasi affectifs que les « jeunes des quartiers » entretiennent avec leur territoire, les savoir-faire et compétences qui se construisent et s’enrichissent chaque jour pour rendre la vie un peu plus supportable.

Au terme de son étude, le diagnostic de Michel Kokoreff souligne que ces quartiers ne sont pas à la dérive, loin s’en faut. Mais, pour s’en rendre compte, il faut prendre le temps de l’observation et de la compréhension. Un large potentiel créatif et une véritable conscience politique et sociale existent dans les cités et se manifestent d’ores et déjà dans de multiples directions. C’est sans doute à force d’enquêtes telles que celle-ci qu’il deviendra possible de résister aux tentations de « diaboliser » certains espaces périphériques des grandes villes et de s’opposer ainsi aux politiques sécuritaires qui semblent avoir la faveur des politiques. Le repli sur le groupe ethnique ou l’adoption d’un islam intransigeant sont, bien souvent, une réaction à l’inadaptation des politiques publiques. C’est un des mérites de ce livre que de le mettre en évidence même s’il reste évasif sur ce qu’il conviendrait idéalement de faire ? Mais, en la matière, qui peut bien prétendre détenir la réponse ?


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