N° 1156 | Le 5 février 2015 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La double impasse • L’universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux et marchands

Sophie Bessis


éd. La Découverte, 2014, (230 p. – 19 €) | Commander ce livre

Thème : Religion

Sophie Bessis dénonce les deux totalitarismes qui se sont emparés de notre post-modernité : le marché et le fondamentalisme. Notre monde semble coincé entre le Dieu du commerce et un Dieu monothéiste qui veulent imposer leur loi. Contrairement à ce qu’on serait spontanément amené à penser, biens matériels et biens du salut ne sont pas en concurrence, mais usent à égalité de la violence pour maintenir leur domination. Le premier promeut le consommateur individualiste. Le second impose la norme collective du groupe à un individu qui tente de s’en émanciper. Ni l’un, ni l’autre ne veulent d’un sujet maître de son destin, doté d’un sens critique et agissant consciemment. Du coté du marché, la concurrence est devenue le seul axe de progrès possible. Rien ne doit s’y opposer.

Tout, au contraire, doit être mis en œuvre pour la protéger des dangers susceptibles de freiner son expansion. La totalité des activités humaines doit être soumise à la marchandisation, l’État doit déréguler massivement, les pertes sont à la charge de la collectivité alors que les profits sont privatisés, la pauvreté est renvoyée à la responsabilité de celui qui en souffre, l’espace mondial unifié induit la standardisation des produits et la mise en concurrence internationale de la main d’œuvre. Du côté des religions, un renouveau est né des cendres des messianismes terrestres et laïcs. On a vu, depuis les années 1980, émerger et se développer tant les mouvements évangélistes et pentecôtistes chrétiens que les fondamentalismes musulmans. Les révolutions qui ont embrasé le monde arabe, à compter de 2011, ont fini par porter les partis islamiques au pouvoir.

Si, dans un premier temps, ceux-ci n’ont pas voulu remettre en cause certaines formes de modernisation, très vite, ils ont accéléré le rythme de la mise au pas de la société, en lui imposant leurs normes dogmatiques. Ils ont échoué, se heurtant à des populations ayant intégré, depuis des décennies, des comportements induits par des mutations liées à l’augmentation du taux de scolarisation, l’effondrement de celui de la fécondité et le ralliement aux valeurs occidentales. Pourtant, si les revendications ont bien porté sur les libertés publiques, les tentatives pour promouvoir les libertés individuelles, seules à même de permettre le processus d’individuation, bloquent encore. Face à ces deux idéologies conservatrices sources de tyrannie et de servitudes, l’universalisme constitue un pôle de résistance.

Critiqué pour son mimétisme à l’égard de l’Occident, accusé de s’inspirer du colonialisme, il est le seul capable de s’opposer à l’essentialisation considérant les cultures comme étanches les unes par rapport aux autres, il est le seul capable de s’opposer à la tyrannie marchande et religieuse, il est le seul capable de promouvoir la liberté, au nom des droits universels de l’homme.


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