N° 855 | Le 4 octobre 2007 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

L’ombre portée de François Tosquelles

Patrick Faugeras


éd. érès, 2007 (381 p. ; 29 €) | Commander ce livre

Thème : Psychothérapie

« C’est foutu, notre époque est finie. » (p.245). Alors qu’il apprend que son ami De Vilella est à l’hôpital et sur le point de mourir, et alors qu’il est lui-même très mal en point, François Tosquelles résume en ces quelques mots son combat en faveur de l’instauration de la psychothérapie institutionnelle. Il y a sans doute dans ce dernier souffle amer toute la nostalgie de celui qui parvient au terme de son voyage mais il y a aussi, en prédiction, quelques vérités concernant un XXIe siècle oublieux de son histoire. François Tosquelles est un homme ayant passionnément aimé la vie et ses semblables, et qui ne se disait pas psychiatre mais psychiste.

Dès lors, en ces temps de brouillard conceptuel où le bruit remplace la réflexion et où le spectacle tient lieu de culture, l’évocation de sa figure fait tache sur la photo de famille de la psychiatrie. Celle-ci, à l’instar de la société qui l’entoure, rêve désormais d’un retour à l’ordre et à la rationalité plutôt que d’ouverture sur la complexité et la fragilité des hommes. A bien des égards ce livre de Patrick Faugeras fait écho à cet autre livre de Jacques Derrida qui parle du Spectre de Marx. En effet, il est aisé de décréter la mort de Dieu, la fin de l’homme ou de la psychiatrie et d’assassiner les penseurs par des niaiseries rabâchées sur les ondes des radios et les écrans de télévision ; en revanche, il est plus compliqué de faire taire les témoins d’une histoire, celle de François Tosquelles et de l’émergence d’une autre psychiatrie.

Ceci dit, le livre de Patrick Faugeras n’est pas un mausolée dressé à la mémoire du bonhomme. Un tel acte aurait d’ailleurs eu valeur de trahison à l’égard de celui dont l’engagement reposait avant tout sur la liberté et l’accord de l’être avec lui-même ; sachant, sublime tragédie ou au contraire sel de la vie, que cet être ne se dévoile qu’au fur et à mesure de son avancée. Il n’y a pas que les fous pour ne pas savoir qui ils sont !

Ce livre est donc un livre d’histoires différentes qui toutes racontent une même histoire, celle de la psychiatrie du sortir de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 80. Pour en être facile, sa lecture n’en est pas pour autant aisée. Lecteur, il faut être patient et perspicace pour, au fil des presque quatre cents pages, dénicher les mots qui font repères et pierres angulaires pour une pensée des temps présents. Ainsi reviennent le transfert, la politique, la parole, l’institution, le référent, la présence et l’ouverture aux possibles de l’homme… Autant de mots qui comme l’œuvre et la vie de François Tosquelles croisent d’autres trajectoires ; celles de Jacques Lacan, de Jean Oury, de Fernand Deligny et de tant d’autres. C’est donc un demi-siècle d’histoire contemporaine de l’action sanitaire et sociale qui est brassé par ce livre immense et respectueux de ce fabuleux bonhomme qu’est François Tosquelles.


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