N° 879 | Le 3 avril 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

L’institution éducative spécialisée

Philippe Bouchez


éd. érès, 2007 (234 p. ; 23 €) | Commander ce livre

Thème : Institution

Dans les institutions, les éducateurs sont les écrans de projection des affects des résidents, explique l’auteur qui a réuni dans cet ouvrage les lectures du quotidien, les décryptages des pensées et des actes, les analyses cliniques produites depuis vingt-cinq ans tout au long de l’accompagnement qu’il a effectué auprès des différentes équipes du secteur éducatif et médico-social.

C’est justement parce qu’ils sont le réceptacle de ces ressentis, poursuit-il, qu’ils ne doivent pas rester seuls. Il ne devrait jamais y avoir de moment où le tiers est exclu, même quand l’éducateur se trouve en tête-à-tête avec l’enfant. C’est la fonction de la réunion de l’éviter en offrant, face à des sujets le plus souvent dans la jouissance du passage à l’acte ou dans la répétition infinie du temps présent, une autre temporalité que l’immédiateté. Elle est un lieu d’élaboration des messages chaotiques dans lesquels le professionnel est emmêlé. Elle doit donner l’opportunité à l’éducateur de partager en mots avec ses pairs les relations qu’il établit avec les résidents. Elle permet de travailler ce qui se cristallise, ce qui fait symptôme, ce qui se répète et qui donc pose question dans le travail quotidien.

Beaucoup trop d’institutions souffrent du symptôme de la séduction à deux. Tout au contraire, mettre de la pensée entre soi et l’autre, c’est appeler l’espace tiers et sortir de la relation duelle et directe. L’éducateur apparaît souvent à l’enfant comme un être rationnel et bienfaiteur. Il doit pour cela rester attentif, observer, savoir ce qu’il dit, ne pas toujours être dans la spontanéité. Il présente alors la figure d’un père suffisamment fort auquel l’enfant peut se confronter sans qu’il ne s’écroule sous l’effet de ses attaques. Ne pas trouver cette résistance reviendrait pour lui à s’abandonner à la rage impuissante d’être sans limites, donc à l’impuissance.

Mais, l’éducateur doit aussi accepter de recevoir des reproches, des accusations, des négations, permettant ainsi que se crée un espace qui fait alors ouverture, favorisant une rencontre qui ne soit ni un rejet, ni une fusion. Fichu métier de devoir dépassionner, alors qu’on ne peut que susciter sans le vouloir des passions, des désirs fous, des jalousies mortifères, alors que l’accompagnement proposé réveille des espoirs qui étaient enfouis depuis longtemps, des manques terribles et la souffrance d’avoir tant été ignoré. Mais, « l’amour, ce n’est pas donner à l’autre ce qu’il demande, ce qu’il n’a pas et qu’il croit qu’on a pour le combler, ce serait plutôt du côté du don, d’un certain manque à partager » (p.23). En même temps, si le rôle de l’éducateur est bien d’entretenir l’étincelle du potentiel de l’enfant, il ne doit pas dans sa quête de proximité et de réparation, céder à la tentation de lui en vouloir de ne pas toujours répondre au projet qu’il a pour lui.


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