N° 863 | Le 29 novembre 2007 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

L’étranger et le différent dans l’actualité du lien social

Sous la direction de Rajaa Stitou


éd. Pleins Feux, 2007, (128 p., 13 €) | Commander ce livre

Thème : Immigration

Lorsque dans le courant de l’année 2006, Gérard Laniez et son équipe ont inscrit le thème de l’étranger dans le cycle du séminaire « Les ateliers du CCAS » à La Rochelle, ce sujet était encore loin d’atteindre le niveau d’actualité qui est le sien aujourd’hui. Pour autant, la politique qui se dessine à partir des thèmes de l’immigration choisie ou des tests ADN ne surgit pas de nulle part. Du discours sur les « odeurs » prononcé par Jacques Chirac à celui de Michel Rocard sur une France qui ne pourrait plus accueillir toute la misère du monde, en passant par les risques d’invasion évoqués par Valéry Giscard d’Estaing, les paroles xénophobes et le rejet de l’étranger font depuis quelques années déjà le lit de l’opinion et esquissent les contours d’une patrie des droits de l’homme de plus en plus recroquevillée sur elle-même et sur ses peurs.

Pire, à vouloir diaboliser Nicolas Sarkozy et à le rendre seul responsable de tout ce qui arrive, il y aurait même un risque à ne plus saisir ce qui nourrit profondément la haine de l’autre, à savoir ce que Rajaa Stitou appelle dans cet ouvrage « l’épreuve de l’innommable ». C’est lorsque viennent à manquer les mots pour expliquer et pour comprendre que s’instaurent les passages à l’acte et que le lien social bascule dans la violence. Ainsi, lorsque les fils et filles issus de l’immigration constituent des individus de seconde zone et que les contours de leur identité ne coïncident plus avec ceux de leur citoyenneté, c’est alors que surgit chez ces derniers le sentiment de « n’avoir plus rien à perdre » et que, par contre coup, leurs comportements sont assimilés à ceux de « bêtes sauvages ». Et non seulement s’instaure l’idée qu’il n’y a plus rien à perdre mais se surajoute celle qu’il n’y aurait plus rien à dire non plus puisque l’autre, le différent, n’est plus tout à fait un sujet humain.

Dès lors la frontière cesse d’incarner l’espace d’un nouveau monde pour devenir ce mur contre lequel viennent échouer les êtres et leurs espoirs. L’intérêt de cet ouvrage, exigeant de par sa référence à la psychanalyse et dense par la complexité des concepts mobilisés, est de rappeler que la violence n’est pas du côté de l’autre, l’étranger, le barbare mais de soi, l’autochtone, l’avare. C’est la peur de perdre quelque chose de son être et de ses avoirs qui poussent au rejet du partage et du mélange. Dans cette perspective, le refus de prendre langue vient moins de l’autre, celui qui arrive, que de celui qui, supposé être dans l’accueil, fait du bien parler un signe de distinction et donc un objet d’exclusion. Car prendre langue, c’est « naître à l’exil par la potentialité de l’amour » et accepter « un nouage nouveau entre le féminin et le masculin ». Ce livre est donc un livre à lire par tous ceux qui refusent le retour de l’immonde.


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