N° 752 | Le 12 mai 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

L’enfant proie - Dysfonctionnements et dérives de la protection de l’enfance

Samuel Luret & Pascal Vivet


éd. le Seuil, 2005 (238 p. ; 21 €) | Commander ce livre

Thème : Abus sexuel

Les auteurs l’annoncent d’emblée : il leur « fallait nommer les faits, écrire ce qui peut se jouer dans le huis clos criminel de l’agression sexuelle » (p.23), préalable nécessaire à un certain nombre de propositions destinées à éviter de reproduire les dérives dénoncées. Reconnaissons-le tout de suite : si la première partie des intentions est respectée, la seconde laisse largement le lecteur sur sa faim. Le texte est pourtant émaillé de réflexions tout à fait pertinentes tant sur la sacralisation de la parole de l’enfant (on pourra consulter, en annexe de l’ouvrage, un excellent protocole de recueil du témoignage des enfants victimes), que sur la faiblesse des moyens de la justice (fragilité des modalités d’expertise, baisse des effectifs des brigades des mineurs, multiplication de près de 90 % des dossiers gérés par les juges des enfants en moins de 25 ans…), les effets pervers de la surenchère des réformes en matière de protection de l’enfance, les fausses allégations dans les situations de divorce ou encore la contestation de la dimension systématiquement thérapeutique de la procédure judiciaire.

Tous ces thèmes qui sont au cœur de la nécessaire évolution des pratiques professionnelles auraient mérité des développements. Ils ne sont qu’esquissés. Par contre, l’ouvrage est prolixe en détails sordides qui soulèvent le cœur. Malgré de véritables tentatives de la part des auteurs pour humaniser le parcours des agresseurs sexuels, les auteurs n’éviteront peut-être pas au lecteur de tomber dans le travers qu’ils dénoncent à juste raison : « au fil du temps, le “pédophile’’ est devenu le symbole du’’monstre’’ porteur de tous les maux de notre époque » (p.17). Du coup, l’agressivité se retourne aussi contre les professionnels de la protection de l’enfance, jugés incapables d’accomplir leur mission quand ils ne se montrent pas complices. Sans les précautions minimales qui auraient permis d’éviter l’amalgame, ils sont largement habillés pour l’hiver.

Au fil des cent premières pages, on ne croise que des salariées attachant les bébés qui pleurent dans leur lit, une famille d’accueil forçant un enfant à ravaler son vomi, une référente ASE ne venant visiter un jeune qu’au bout de deux ans, un éducateur pédophile, un service de placement familial accusé d’aveuglement face aux agissements maltraitants d’une de ses familles, des professionnels venant arracher des enfants de leur domicile sans donner la moindre explication… Il faut attendre la page 81 pour apprendre qu’enfin un enfant rencontre la bonne personne ! Mais la directrice de l’établissement qui l’accueille est d’origine américaine (on comprend mieux). Que soit dénoncé un certain nombre de travers des services de protection quant aux prérogatives et aux prés carrés qui freinent leur travail, on peut l’entendre. Que cela débouche sur des généralisations abusives telles que « commence alors la valse des placements que connaissent bien ceux qui sont passés par la PJJ » (p78) est bien plus discutable.

L’ouvrage à vouloir trop en faire, manque sa cible et tombe dans l’erreur qu’il reproche par ailleurs aux moralistes : placer l’émotion au cœur de la protection de l’enfance.


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