N° 1222 | Le 6 février 2018 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Jouer le monde

Ronan David et Nicolas Oblin


éd. Le bord de l’eau, 2017, (81 p. – 8 €) | Commander ce livre

Thème : Sport

Il est courant d’identifier le sport au jeu. Les deux auteurs contestent cette confusion et le démontrent avec opiniâtreté.
Le jeu qu’ils désignent comme « libre » est un amusement, un divertissement, un délassement et une récréation. Il n’a pas vocation à éduquer, mais à distraire, à s’amuser et à se mesurer en gagnant une fois et perdant une autre. Le cache-cache, le loup, la dînette, l’imitation de la maîtresse ou du docteur n’ont d’autres buts que de se cacher, de s’attraper et de jouer à être quelqu’un d’autre. Ils permettent d’éprouver la multiplicité des rôles et des places, des réalités et des possibles.
Le jeu est un terrain de découverte et de créativité, d’appropriation et de détournement des règles. L’enfant crée un espace spatio-temporel à l’intérieur duquel il s’autorise à explorer et à expérimenter, s’offrant la possibilité d’en modifier le cours au gré de son imaginaire. Il sait aménager la scène en la peuplant de créatures fabuleuses, avec des objets glanés à droite et à gauche, dans un ordre qui échappe aux règles et aux ordonnancements.
Il en va tout autrement du sport. L’activité sportive répond à l’ambition de disposer et de discipliner les corps en deçà et au-delà du travail. Elle est le lieu du culte de la compétition, de l’héroïsation du champion, de la fétichisation de la performance. La mise en concurrence répond à la volonté d’éduquer physiquement et moralement les compétiteurs, en les faisant adhérer à une vision du monde homogène et hiérarchisée fondée sur la domination des plus forts sur les plus faibles.
Sa finalité n’est pas dans l’acte accompli mais dans le classement auquel il donne lieu. Il est rivé à l’obligation de produire des résultats qui guident les comportements, l’entraînement étant tourné vers leur accroissement. L’activité sportive est contrainte et encadrée, n’autorisant ni la fantaisie du sujet, ni la négociation ou le dialogue entre participants. Le sport est doué pour esthétiser les formes les plus grégaires de confrontation réduisant l’autre à un adversaire à abattre, les postures les plus archaïques destinées à vaincre ou à mourir. Il oppose des corps aliénés à l’objectivation des mesures. Du côté du jeu, il y a le temps libre, l’imagination et l’enfance.
Du côté du sport, c’est le temps contraint, la reproduction de l’identique et l’adulte. Un monde sépare donc les logiques qui animent l’un et l’autre. Après avoir lu ce livre, on ne devrait plus jamais les confondre !


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