N° 914 | Le 29 janvier 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

J’étais un chef de gang

Lamence Madzou


éd. La Découverte, 2008 (245 p. ; 17 €) | Commander ce livre

Thème : Délinquance

Placer le lecteur en prise directe avec la réalité des bandes, sans l’interprétation sociologique, ni la reformulation romanesque ou la confession du repenti n’est pas sans risque, explique Marie-Hélène Bacqué. L’ouvrage commence par le récit élaboré tout au long des douze entretiens qu’elle a menés avec Lamence Madzou. Donner la parole à un ancien chef de gang, c’est « réorienter le lampadaire, changer le jeu des ombres et des lumières » (p.181).

On y voit grandir un enfant arrivé à cinq ans de son Congo natal. On suit sa progression dans une dynamique de marginalisation. Aspiré par le monde de la rue, happé par la violence, structuré par le business, l’adolescent investit sa bande comme sa seconde famille. Il y a bien des occasions pour s’en sortir qui se présentent, mais il les manque. Jusqu’à ce qu’une voie s’ouvre qui ne sera ni la mort, ni une longue incarcération… mais l’expulsion du territoire français et la plongée pendant trois ans de guerre dans son pays d’origine.

Ce témoignage est précieux pour comprendre le rôle des bandes. Marie-Hélène Bacqué leur en attribue trois. Premier constat : leur réapparition s’est faite dans un contexte marqué par la précarisation des milieux populaires. Certes, la pauvreté ne conduit pas inévitablement à la délinquance. Mais elle y contribue parallèlement à d’autres interactions, qu’elles soient scolaires, familiales, collectives ou personnelles. Le gang apporte une sécurité économique, une protection physique, un réseau social et fraternel, un sentiment de liberté : « La bande est ainsi d’abord un style de vie qui répond à des parcours de fragilisation familiale et scolaire en proposant une’’bulle’’ précaire et momentanée où se vit avant tout le présent » (p.192).

Le gang peut aussi être un support à la construction identitaire, quand celle-ci se heurte à la stigmatisation et à l’absence de reconnaissance. La constitution de bandes de jeunes noirs n’est pas une simple invention médiatique. Le pacte républicain qui proposait l’invisibilité contre l’intégration ayant échoué, c’est une réponse possible aux discriminations raciales. Mais on ne peut réduire les bandes à l’expression de la délinquance juvénile ou à l’affirmation d’une identité minoritaire. On y trouve tout autant un mode de socialisation, certes peu académique, mais tout à fait conforme aux idéaux néolibéraux : valorisation de la réussite individuelle, marqueurs de valorisation recherchés dans le pouvoir et les objets de consommation, référence à des attentes sociales traditionnelles (famille stable, propriété, situation professionnelle…).

La reconversion du capital guerrier dans le travail au sein des sociétés de gardiennage, du goût pour le business dans le commerce ou encore du sens de la compétition et de la prise de risque dans l’esprit d’entreprise montre que la bande peut aussi parfois permettre de trouver une voie d’intégration sociale !


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