N° 966 | Le 25 mars 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Filles de justice. Du Bon Pasteur à l’Education surveillée

Françoise Tétard & Claire Dumas


éd. Beauchesne & ENPJJ, 2009 (483 p. ; 32 €) | Commander ce livre

Thème : Histoire

Créé à Angers en 1829, le Bon Pasteur comptera en 1948 trente-quatre maisons dans l’hexagone et trois cent neuf dans le reste du monde. Cette expansion rapide fut proportionnelle à l’ampleur de la mission moralisatrice et rédemptrice qu’il s’était fixée. S’il accueillait volontiers des moniales retirées du monde, il se donna très tôt pour vocation le redressement des jeunes filles : des pénitentes (celles qui ont commis des péchés), des orphelines et des préservées (jeunes filles de bonne famille que l’on veut protéger des tentations). De fait, on trouve là toutes les mineures qui ont mal tourné ou aurait pu mal tourner : celles qui ont été violées ou auraient pu l’être, celles qui sont jugées aguicheuses ou qui sont soupçonnées de le devenir.

L’État va très vite se décharger de la responsabilité des mineures confiées au titre de la délinquance ou de la protection de l’enfance, en les confiant à l’initiative privée et plus particulièrement à ce type de congrégation. Jusqu’en 1967, le secteur public n’accueillera que 8 % de ce public féminin.
Le Bon Pasteur dispose de plusieurs ressources (pensions versées par les familles, charité publique…), mais c’est surtout le prix de journée accordé par l’État pour les pensionnaires placés à titre correctionnel, qui nourrit la communauté. Sans compter le produit de l’activité économique à laquelle sont soumises les filles formées à la couture, la blanchisserie, la lingerie ou au repassage.

Très tôt, la presse dénonce les mauvais traitements et les sévices commis par des sœurs accusées d’« embastiller dans leurs cachots les pauvres créatures que le bigotisme ou l’hypocrisie livrent à leur pouvoir ». La congrégation s’enferme encore plus derrière ses hauts murs. Ce qui n’empêchera pas, en 1903, la fermeture ministérielle de l’établissement de Nancy, après qu’il ait été condamné à verser des dommages et intérêts à une ancienne pensionnaire. Une inspection, effectuée à Bourges en 1963, dénoncera « un établissement trop fermé avec une discipline trop rigide » responsable de la révolte des élèves et d’un « mauvais esprit permanent ». La congrégation annonce en 1966 son intention de vendre tous ses établissements. L’Education surveillée se rend acquéreur de celui de Bourges. La passation de pouvoir se fait le 1er août 1968.

La monographie de Françoise Tétard et Claire Dumas décrit dans le détail le changement qui intervient alors : recrutement de professionnels qualifiés, pédagogie institutionnelle (assemblée de tout le personnel tous les quinze jours, réunion avec les mineurs dans chaque groupe…), ouverture sur l’extérieur, libre accès aux différents espaces à l’intérieur, introduction aux côtés de l’internat d’une action en milieu ouvert, souplesse et créativité dans les modalités d’intervention… Tout un projet éducatif à l’opposé de la fossilisation des méthodes disciplinaires qui s’étaient enkystées, depuis près de cent quarante ans.


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