N° 816 | Le 9 novembre 2006 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

École : demandez le programme !

Philippe Meirieu


ESF éditeur, 2006 (159 pages, 12,90 €) | Commander ce livre

Thème : École

Pour bien saisir la portée et les enjeux de ce tout dernier ouvrage de Philippe Meirieu, il faut absolument le sortir du combat idéologique vers lequel il est irrémédiablement ramené : celui qui oppose les républicains aux pédagogues. Toutefois, la particularité et la force de ce nouveau texte viennent de ce que le point de vue énoncé n’est plus seulement celui de Philippe Meirieu, auteur principal de l’ouvrage, mais celui de milliers d’acteurs interrogés pendant plus d’un an par le biais de sites Internet, et dont quelques témoignages sont retranscris tout au long des chapitres.

L’école de la démocratie n’est plus la lubie de quelques pédagogues soupçonnés d’être enlisés dans un passé post soixante-huitard. Alors, et comme le titre de l’ouvrage l’indique fort bien, il se dégage un programme de cette vision là de l’école… et un programme portée par une notion clef, insoupçonnée au départ et qui revient comme un leitmotiv tout au long des presque cent-soixante pages, celle de « créativité ». Avec elle renaît la magie intellectuelle de Philippe Meirieu et la perspicacité de son regard porté sur la société et son école ; le malaise qui sévit dans la culture actuelle vient de la disproportion entre ces deux activités également vitales pour l’homme, la consommation et la création.

Plus rien n’advient à l’être moderne et plus rien ne fait sens aujourd’hui dans la mesure où tous les dispositifs sociaux sont amenés à n’être plus que des « tubes ». La matière absorbée, qu’elle soit les images bombardées à la télévision, les sons véhiculés par les radios ou encore les savoirs déversés à l’école ne fait que traverser l’individu qui ne s’en saisit que pour être dans la norme et étiqueté comme pouvant demeurer dans l’espace social. Ce que redoute le plus l’individu aujourd’hui, ce qui nourrit ses angoisses et le pousse dans une fuite en avant, est le risque de basculer dans une différence qui ne lui permette plus d’être reconnu comme intégré et intégrable.

Dès lors, tout, de l’école aux grands médias de masse, du sommet de l’État aux citoyens de la « France d’en-bas », tout est fait pour déposséder l’être de sa dimension créatrice de sorte qu’il se plie de lui-même aux standards imposés. L’école de Meirieu se revendique comme étant une école de la liberté et de l’autocréation de l’enfant par lui-même grâce aux concours d’adultes responsables et engagés dans leur devoir de transmission. Son école est « sauvage » au sens où ce mot qualifie l’anormal dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley.

Ce dernier livre de Philippe Meirieu sera de nouveau non lu par ses détracteurs tout simplement parce qu’il est insupportable ! Il montre bien comment les sociétés sont guidées vers le seuil de nouveaux totalitarismes, non pas par les pédagogues, mais par ceux qui aliènent les normes aux intérêts de quelques-uns.


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