N° 933 | Le 18 juin 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Dis maman, pourquoi on peut pas dire merde ?

Joseph & Caroline Messinger


éd. Flammarion, 2007 (302 p. ; 18 €) | Commander ce livre

Thème : Education

Les mots sont des vecteurs d’émotion trahissant les sentiments, les humeurs et la vision de l’existence. Joseph et Caroline Messinger expliquent que leur (més)usage peut conforter les bons et mauvais choix de vie : « Si parler n’est pas agir, la parole demeure le fondement de l’action humaine » (p.13). Le discours conditionne l’image que l’enfant a de lui-même, sa capacité d’entreprendre, de s’investir, de se motiver, de se responsabiliser. D’où l’attention portée à la contamination qui peut atteindre son langage, vigilance pouvant s’appuyer sur la conviction selon laquelle les mots ne disent pas toujours ce qu’ils pensent et ne pensent pas toujours ce qu’ils disent.

Les auteurs proposent des commentaires et des illustrations sur près de quatre-vingt termes déclinés sous la forme d’expressions diverses et variées. Comme toute tentative d’interprétation de la psyché humaine, on retrouve ici des remarques pertinentes et des généralisations abusives, des interprétations fertiles et des exégèses plus aléatoires. Mais la réflexion qu’ils proposent peut favoriser le choix d’une hygiène sémantique. Certaines expressions sont parfois le signe d’un mode de fonctionnement problématique. Comme l’affirmation « j’adore » qui remplace facilement les notions d’admirer, d’apprécier, de se passionner, de s’enthousiasmer…

L’adoration est un amour à sens unique. Quand l’objet de culte ne procure plus suffisamment le sentiment d’exister, ni de se retrouver en lui, il est jeté comme un kleenex. Le besoin d’adorer dénote une difficulté à cohabiter avec soi. Comme aussi l’expression idiomatique « en fait », utilisée comme un tic verbal et que l’on retrouve parfois toutes les deux phrases, montrant ainsi le besoin permanent du locuteur de passer du monde imaginaire au monde réel. Comme encore la tournure « je veux bien essayer » qui indique pour les auteurs qu’on ne le veut pas vraiment et qu’on n’a guère envie de faire des efforts : c’est juste une clause d’essai sans engagement. L’éradication du verbe essayer est l’antichambre d’une confiance en soi retrouvée : celui qui cesse d’essayer commence enfin à agir. On peut encore citer l’emploi du pronom impersonnel « on », cette coquille vide qui ne libère aucune énergie, là où le « nous » stimule la confiance en soi et positionne comme celui qui s’affronte à son destin.

Les mots ne sont pas anodins. Mais leur décontamination ne peut se faire qu’en douceur, en permettant à l’enfant d’exprimer tant ses sentiments positifs que négatifs. Cela n’est possible que si l’adulte reste attentif à son propre mode d’expression. Car l’enfant s’imprègne du discours qui l’entoure, imitant les mots, formules et phrases qu’il entend.


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