N° 890 | Le 26 juin 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Convaincre sans manipuler - Apprendre à argumenter

Philippe Breton


éd. La Découverte, 2008 (154 p. ; 11 €) | Commander ce livre

Thème : Relations

Voilà un ouvrage de méthodologie tout à fait précieux. L’auteur s’oppose à l’idée qui voudrait que pour convaincre, l’on serait contraint de manipuler. Si la manipulation consiste à paralyser la réflexion, à bloquer la liberté de penser et à jouer sur les sentiments, cela peut être efficace, mais pas sur la durée. Dès l’Antiquité, Aristote s’opposait à l’usage de la ruse, de la séduction ou de la démagogie dans la démarche argumentative. La rhétorique ancienne s’appuyait sur deux préoccupations : l’efficacité et l’éthique.

Et c’est bien à la source de l’Antiquité que Philippe Breton s’abreuve ici. Convaincre se distingue tout autant de l’acte d’informer que de celui de communiquer un sentiment. Essayer de persuader implique tout d’abord de reconnaître la légitimité de la différence d’opinion et la fragilité des certitudes, la richesse des points de vue divergents et la nécessité de la conflictualité, même si l’on doit chercher à la pacifier. Convaincre passe ensuite par le fait d’argumenter, c’est-à-dire de construire un raisonnement constituant de bonnes raisons acceptables par l’auditoire. On est là au cœur d’un paradoxe : dépenser beaucoup d’énergie pour essayer d’emporter l’adhésion à l’égard de ses convictions entraîne le risque non seulement de ne pas y arriver, mais aussi celui d’être à son tour tenté par l’argumentation de son interlocuteur.

Une fois ce cadre éthique posé, l’auteur liste les différents facteurs dont il faut tenir compte dans l’art de convaincre. Le premier élément, c’est celui de l’auditoire. Il s’agit de répondre à ses attentes en sachant identifier un élément, un fait, une valeur, une croyance qui lui sont propres et sur lesquels on va appuyer son discours. Second facteur : le choix judicieux dans la famille des arguments existants : va-t-on employer l’autorité (la compétence ou l’expérience), le sens de la communauté (la culture partagée), le cadrage (amplifier certains aspects, en minorer d’autres, dissocier, rapprocher), l’analogie (l’exemple, la métaphore). Troisième facteur, le plan d’intervention : « Mal terminer est aussi dévastateur que mal commencer » (p.139).

C’est pourquoi l’auteur propose une articulation classique : l’exorde (capter l’attention en annonçant le plan), puis l’exposé de l’opinion (présenter le point de vue que l’on va défendre), ensuite l’argumentation (à structurer de préférence en trois points) et enfin la péroraison (les derniers mots qui concluent le propos). Ce qui distingue l’argumentation de la manipulation, c’est l’honnêteté : ce ne sont pas les artifices oratoires qui comptent, pas plus que les astuces pour tromper l’autre, mais la solidité, la cohérence et la pertinence de ce que l’on avance. On fait avancer ses convictions non à partir de ce que l’on est mais à partir de ce que l’on dit.


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