N° 1068 | Le 28 juin 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Cause toujours… De la parole dans le travail social

Collectif


Le Sociographe n° 37, janvier 2012 (128 p. ; 10 €) | Commander ce livre

Thème : Pratique professionnelle

En se consacrant au thème de la parole, Le Sociographe s’intéresse à ce qui constitue l’un des outils de travail principaux des professionnels du social, celui qu’ils utilisent en permanence face aux usagers. Mais loin de se contenter d’une description didactique, la revue des IRTS, fidèle en cela à sa ligne éditoriale, déconstruit cet attribut, en lui redonnant toute son humanité.

Commençons par reprendre la définition proposée. La communication orale est un acte phonatoire accompagné (ou non) d’un vecteur visuel (l’expression non verbale), peut-on y lire. À la différence de la langue qui est un produit social, la parole est à la fois individuelle et singulière. Elle est fondatrice de la condition humaine, car elle est au cœur des relations sociales et conditionne le rapport au monde : les mots sont des concentrés de la réalité. Plus elle est élaborée et diversifiée, plus la façon de penser et d’agir sera subtile et précise. Mais là où cela se complique, c’est que cette parole ne se contente pas de former le réel, elle le transforme ; elle ne fait pas qu’exprimer les choses, elle agit sur elles.

Si, chez l’animal, la parole est univoque, un signal émis (sonore, gestuel, olfactif) renvoyant à un seul message, chez l’être humain, aucun mot n’a de sens unique. Les échanges sont affectés de malentendus et d’équivoques. Recevoir la parole de l’autre et parler soi-même, nécessite de faire attention au sens que l’on cherche à donner à ce qu’on dit, au sens que l’on peut donner à ce que l’on entend et au sens réel de ce qui est dit. Et, ce qui complexifie encore l’interprétation des propos échangés, c’est que l’oral peut aussi être l’expression paradoxale du débordement d’un soi vide : bavardage, logorrhée, jouissance de s’entendre, psittacisme (répéter comme un perroquet, ndlr) ne sont alors que bruit et vent. Le flot de paroles creuses est le sonar de l’insignifiance.

On peut se parler, tout en étant absent l’un à l’autre, comme on peut être silencieux, mais être attentif et présent. Il est, en effet, des silences qui peuvent être merveilleux. Louer ce silence ne revient pas à dévaloriser la parole car dire et taire peuvent fort bien se conjuguer : faire silence autorise l’écoute ; c’est dans le silence que l’on écoute le mieux ; la parole a d’autant plus de poids quand elle s’exprime après un silence. D’autant que le silence n’est pas toujours muet. Il porte l’implicite et peut en dire infiniment plus qu’un discours en apparence transparent.

Technique ou violente, intempestive ou inadaptée, manipulée ou mensongère, jusqu’où les travailleurs sociaux réussissent-ils à maîtriser cette parole, pour en faire un outil d’émancipation et non de domination et éviter une spontanéité qui laisse une quasi-simultanéité entre la conception du message et sa forme énoncée ?


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