Au cœur de la cellule !

BON JE VEUX BIEN, je suis un vieil éducateur.
Le genre qui a connu l’héro au coin de la rue et la vie sans smartphone mais quand même, honnêtement, mes amis collègues, qui d’entre vous croit à cette affaire de cellule de déradicalisation ? D’après ce que j’en ai vu et lu, un genre de rattrapage de points du permis de mal se conduire. L’histoire se présente si mal que même Dounia Bouzar la désendoctrineuse en chef s’est retirée du processus. Les ados sont des êtres complexes qui répondent rarement à ce qu’on attend d’eux quand ils sont dans le refus de ce que parents et société leur offrent pour partir vers des contrées de l’exil et de l’irrationnel.
J’ai le souvenir de cette époque de grande toxicomanie par injection où mille spécialistes proposaient mille techniques formidables pour décrocher de l’aiguille.
La psychiatrie, la psychanalyse, le saut en parachute, le sevrage forcée, la prison, le tour du monde, l’entretien psycho quelque chose, les chantiers ou le cirque et toujours, on retrouvait le gars ou la fille qui traînait hagard dans le quartier, la shooteuse dans la poche. J’ai travaillé aussi avec des jeunes qui choisissaient des sectes plutôt que de vivre bêtement chez papa et maman. On les disait, entraînés malgré eux, sous pression, le cerveau lavé ! Moi, honnêtement, j’y voyais des gamins paumés qui allaient adorer des gourous plutôt que de se suicider, de déprimer ou de péter les boulons. On perçoit vaguement que la radicalisation est un mélange de quête d’absolu désespéré et un signe de fragilité individuelle. On perçoit aussi que l’on est tous passés à côté et que ceux qui pressentaient le phénomène n’ont pas été écoutés ou entendus.
Je ne doute pas que des centaines d’associations vont se jeter sur la manne de la radicalisation et que l’on va voir des spécialistes sortir de terre, partout.
Mais honnêtement, je ne vois personne au gouvernement ou ailleurs capable de mener et coordonner sereinement et intelligemment la réflexion sur un sujet aussi neuf et sans modèle. Alors chacun va faire sa tentative dans son coin avant le bilan final. Je propose que l’on écoute un peu plus les éducateurs de terrain et un peu moins les spécialistes religieux ou psycho-sociologues qui ont tout compris.
Je dis ça, je dis rien.

Etienne Liebig

Nota - Article publié dans Lien Social n°1180
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