N° 659 | Le 27 mars 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Accompagner les jeunes handicapés ou en difficulté

Bertrand Dubreuil


éd. Dunod, 2002, (171 p. ; 21 €) | Commander ce livre

Thème : Handicapés

Le secteur médico-éducatif est plus habitué aux donneurs de leçons qu’aux auteurs qui nous aident à être plus intelligents. Se plaçant dans cette deuxième catégorie, l’ouvrage de Bertrand Dubreuil est, de ce point de vue, un vrai régal. Son approche passionnante est à la fois dérangeante et innovante.

Première démonstration de l’auteur : le concept d’a-normalité n’a rien de scientifique. C’est une construction sociale basée sur une distinction arbitraire. Au-delà de leur handicap, de leur trouble psychique, de leur difficulté de comportement ou de leur exclusion, toute personne doit être reconnue comme n’importe quel citoyen dans son appartenance à la communauté humaine. Si ce postulat est largement admis, sa conséquence l’est bien moins : il faut passer de l’inscription dans un secteur spécialisé à un soutien spécialisé dans un milieu ordinaire. Ce que la rencontre conjoncturelle entre une école surtout soucieuse de se débarrasser de ses éléments incontrôlables et un secteur médico-social en mal d’expansion n’a pas, jusqu’à ce jour, permis.

C’est peut-être aussi là le produit de la domination du modèle psycho médical qui longtemps a cherché avant tout à réparer durablement le fonctionnement psychique ou physique, là où le modèle psycho éducatif actuel s’attache plus à l’acquisition des compétences favorables à l’intégration. Les professionnels ont toujours été écartelés entre les exigences sociales et l’épanouissement du public qu’ils accompagnent. Mais il est vain de vouloir réduire ainsi les termes de ce paradoxe en adoptant une posture de médiation qui ne peut mener qu’à l’impuissance (à concilier les contraires) et à la toute-puissance (croire que c’est techniquement possible). En fait, la société, les usagers et les professionnels sont tour à tour en position de médiateurs les uns par rapport aux autres.

Autre cible de l’auteur : les procédures qui fonctionnent sur le principe de la causalité linéaire et qui dénient toute place à l’aléa et à l’indécision qui constituent pourtant le quotidien des professionnels. Là aussi, cette méthodologie doit être combinée avec la souplesse, la singularité et l’ouverture de l’action engagée, au risque de dériver vers les conditionnements et les automatismes. Car ce n’est pas l’outil mis en ?uvre qui transforme l’usager mais l’individu qui s’empare ou non des interactions proposées par les professionnels. Note d’espoir, enfin : l’action médico-sociale est le lieu privilégié de réparation des dégâts collatéraux de la croissance. La compassion, l’espoir, la générosité, le défi aux malheurs sont les garanties que le marché n’emportera pas dans ses flux une certaine fragilité humaine.

Mais, comment continuer à soutenir la douce contrainte du raisonnement et de la règle intériorisée par imprégnation, quand, parallèlement, la violence économique perpétue cyniquement la nécessité des pires inégalités ? Un livre à lire de toute urgence.


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